Pourquoi je suis mobilisée : Isabelle, enseignante au primaire

À sa 15e année d’enseignement, Isabelle Potherat fait un constat brutal : elle n’est plus en mesure de répondre aux besoins de ses élèves. 

La composition de sa classe et le sous-financement du secteur public de l’éducation empêchent l’enseignante d’accompagner chaque élève comme il le mériterait. 

« Les besoins ont vraiment changé, estime Isabelle Potherat, qui est enseignante titulaire en 4e année du primaire à l’école Esther-Blondin de Terrebonne. Les enfants ne sont plus les mêmes qu’il y a 15 ans. » 

La composition de la classe a changé 

Les enfants ne sont plus les mêmes? Effectivement, le nombre d’élèves ayant des besoins particuliers a augmenté, et leurs problèmes se sont complexifiés.  

Parallèlement, les élèves en difficulté sont plus nombreux à intégrer une classe régulière. Au Québec, c’est l’approche privilégiée pour favoriser notamment leur intégration sociale. La Centrale des syndicats du Québec (CSQ) y est favorable, tant que sont considérés les besoins de l’élève en difficulté, et les répercussions sur l’ensemble des élèves. 

L’intégration en classe régulière serait réellement bénéfique pour toute la société québécoise si elle était accompagnée des services nécessaires au bon développement de ces élèves, comme des ressources de soutien et professionnels pour soutenir leur cheminement et aider le personnel enseignant. 

Présentement, ce n’est pas le cas.  

La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) illustrait la composition de la classe le 30 mai 2023 dernier devant l’Assemblée nationale.

C’est l’une des nombreuses raisons pour lesquelles les enseignantes et enseignants sont surchargés de travail. L’enjeu de la composition de la classe fait d’ailleurs partie des revendications de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) lors des présentes négociations avec le gouvernement. 

Pas de code, pas d’aide supplémentaire 

Isabelle Potherat enseigne à une classe composée de 25 élèves, qui en compte en fait 26. Elle a un élève qui prend deux places en raison de besoins particuliers liés à des difficultés d’adaptation ou d’apprentissage.  

Cet élève a un « code », et peut bénéficier d’aide supplémentaire en classe, que ce soit de son enseignante, de professionnels, ou de personnel de soutien comme une technicienne en éducation spécialisée (TES).  

Sur papier, l’aide est offerte en fonction des besoins des élèves. En réalité, il est très difficile de l’obtenir sans code, qui exige un diagnostic. Certains élèves sont encore sur une liste d’attente pour obtenir ce diagnostic en arrivant au niveau secondaire.  

« Les parents peuvent aller au privé, mais ça coûte beaucoup d’argent : entre 800 $ et 1 500 $ », explique Isabelle Potherat. Sans parler de l’inégalité entre les élèves que cette pratique peut causer. 

C’est « crève-cœur » 

La pression sur les épaules d’Isabelle Potherat est énorme. La réponse aux besoins particuliers des enfants, diagnostiqués ou non, nécessite des compétences multiples et spécifiques que l’enseignante n’a pas toujours, et qu’elle n’a pas le temps d’acquérir par formation.  

« C’est sûr que parfois, j’ai presque un sentiment d’incompétence parce que je suis consciente que je ne peux pas répondre aux besoins de mon élève, par manque de temps et par manque d’outils. Et ce n’est pas parce que je n’ai pas envie de le faire, c’est parce que les conditions et les ressources font que je suis limitée et que ça se répercute sur l’enfant », soupire Isabelle Potherat.  

« C’est très consciemment que je ne réponds pas aux besoins de mes élèves, poursuit l’enseignante. J’ai quand même un groupe à faire évoluer. Mais je n’arrive pas à prendre tous les élèves par la main, puis à faire harmonieusement une évolution pour que chacun aboutisse à son plein potentiel scolaire, social ou émotif. C’est crève-cœur! » 

Selon elle, beaucoup de jeunes enseignantes et enseignants quittent le bateau précisément à cause de la diminution de ce sentiment de compétence, qui s’accompagne souvent d’une baisse d’estime de soi. 

Les enseignantes et enseignants se retrouvent devant le dilemme d’accepter les limites de leur métier et de préserver le plus possible leur santé mentale et physique, ou d’en faire plus pour leur classe en travaillant le soir et les fins de semaine tout en risquant l’épuisement professionnel. 

« Je crois qu’on aurait les moyens de faire bouger des montagnes avec un petit peu plus d’argent et de moyens, mais là, on est au pied du mur, souligne Isabelle Potherat. Je n’ai pas d’échelle pour le grimper, ce mur-là. » 

Quel salaire pour celles et ceux qui construisent le citoyen de demain? 

Alors que les enseignantes et enseignants travaillent d’arrache-pied et quittent de plus en plus la profession, le Front commun, dont fait partie la CSQ, insiste sur l’importance de l’attractivité du métier dans le contexte de pénurie de main-d’œuvre.  

En plus des conditions d’exercice, ça passe par de bonnes conditions salariales. Mais les offres du gouvernement à la partie syndicale sont risibles : 9 % d’augmentation sur cinq ans. Ça ne couvre même pas l’inflation prévue.  

« Ça nous fait sentir qu’on n’est pas considérés ni reconnus, et puis qu’on vaut la peine de s’appauvrir, finalement! s’exclame Isabelle Potherat. On nous propose de continuer à être surchargés de travail et d’enlever du salaire. On a l’impression que le métier n’est pas valorisé du tout. C’est comme si le travail n’était pas primordial, comme si le travail n’était pas important. Pourtant, on construit le citoyen de demain! » 

Elle ajoute que pour plus d’un de ses collègues sur cinq, le salaire d’enseignante et d’enseignant n’est pas suffisant. Elle-même donne des cours privés de tutorat le soir. L’un de ses collègues travaille à la SAQ la fin de semaine. Une autre est entraîneuse dans un gymnase le soir et fait des livraisons de UberEats dans ses temps libres. Une autre encore travaille en restauration. 

Et ce, alors qu’ils sont déjà débordés. « On est fatigués, et on est juste en début octobre », constate l’enseignante. 

« J’y crois encore. J’ai encore espoir. » 

Pour toutes ces raisons, Isabelle Potherat est déléguée syndicale au Syndicat de l’enseignement de la région des Moulins (SERM) depuis six ans.  

L’enseignante Isabelle Potherat, ici en tant que déléguée syndicale.

Au départ, elle s’est surtout impliquée pour avoir de l’information. Maintenant, elle est mobilisée pour défendre les conditions de travail de ses collègues et les conditions d’apprentissage de ses élèves. 

« J’ai envie de m’engager et c’est davantage pour défendre notre cause, pour défendre nos enfants, explique la déléguée. Tu sais, si mes conditions de travail sont meilleures, les conditions d’apprentissage des enfants vont être meilleures. » 

« Je comprends que les gens arrêtent, abandonnent, n’y croient plus, poursuit Isabelle Potherat. Moi, j’y crois encore. J’ai encore espoir, j’ai le goût de me battre. C’est pour ça que je suis engagée dans le syndicat. J’y crois encore! » 

En attendant que ces conditions de travail se concrétisent aux tables de négociation, Isabelle Potherat tente de se concentrer sur l’essentiel : ses élèves. Pour l’enseignante, chacun de leurs petits progrès est un baume sur le cœur… qui en a bien besoin en ce moment. 

 

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